L’art de la pause

Savourer la transition

 

Décembre est là, l’année touche à sa fin. Les dernières sorties longues sont derrière nous, les objectifs de la saison aussi. Les jours raccourcissent. Le corps murmure qu'il est temps de ralentir.

À cette époque, l'idée de faire une vraie pause nous angoisse parfois. Pourtant, les recherches en physiologie, en psychologie du sport et en neurosciences convergent toutes vers une même conclusion : la pause n’est pas un luxe, mais une nécessité biologique, mentale et émotionnelle.

Ce moment de transition hivernale est l’occasion de laisser le corps se réparer, l’esprit se réorganiser et la motivation se régénérer. C’est une fenêtre d’adaptation unique, alors apprécions-la.

Une pause physique : restaurer l’équilibre

Quand l'entraînement se prolonge sans période de récupération suffisante, le coût physiologique du stress s'accumule progressivement. Ce que les chercheurs nomment la charge allostatique sollicite de multiples systèmes : notre système de réponse au stress, le système nerveux autonome, l'équilibre hormonal, le système immunitaire (Sterling & Eyer, 1988).

Chez les athlètes en entraînement intense sans pause adéquate, cette surcharge se manifeste par des marqueurs mesurables : inflammation systémique élevée, dysrégulation du cortisol, diminution de la variabilité de la fréquence cardiaque, altération de la qualité du sommeil (Rojas-Valverde et al., 2025). Ce qui se passe invisiblement finit par affecter ce qui se voit : fatigabilité accrue, sensations dégradées, risque augmenté de blessures.

Une vraie coupure permet de réduire cette charge. Le corps peut enfin restaurer ses systèmes de régulation sans l'interférence constante du stress lié à l’entraînement.

 

Une pause physiologique : la réparation en profondeur

Pendant la pause, plusieurs systèmes de réparation s'activent. Le système nerveux autonome se normalise. La variabilité de la fréquence cardiaque augmente progressivement. L'équilibre hormonal se rétablit. L'inflammation systémique diminue. Les tissus musculaires et conjonctifs ont enfin le temps de se réparer complètement.

Cette période permet aussi de restaurer les neurotransmetteurs qui influencent directement la motivation, la vigilance, l'humeur et la concentration (Meeusen et al., 2013). Le sommeil, libéré de la pression liée à l’entraînement, devient de meilleure qualité. Et c'est précisément durant le sommeil que se produisent les adaptations les plus importantes : consolidation des apprentissages moteurs, régénération tissulaire accélérée, rééquilibrage hormonal (Charest & Grandner, 2020).

En d'autres termes : le repos prépare le terrain des futures adaptations. Le corps se reconstruit.

 

Une pause mentale : la consolidation invisible

Du point de vue cognitif, la coupure est tout aussi essentielle. Pendant la pause, votre cerveau "digère" les milliers de kilomètres parcourus cette année. Les apprentissages moteurs deviennent plus automatiques, plus fluides. 

La clarté mentale s'améliore. Après des mois de décisions quotidiennes — quelle séance faire ? à quelle intensité ? — le cerveau mérite un répit de cette charge cognitive constante.

C'est aussi un moment privilégié pour l'auto-observation. Sans la pression de l'entraînement structuré, nous pouvons enfin prendre du recul : qu'est-ce qui a fonctionné cette année ? Qu'est-ce qui m'a épuisé ? Qu'est-ce que j'ai aimé ? Cette métacognition — la capacité à observer nos propres processus mentaux — est un outil puissant pour ajuster notre approche future.

 

Une pause émotionnelle : retrouver le sens

Sur le plan émotionnel, l'intersaison joue un rôle de prévention. Les études sur le burnout sportif montrent qu'il est favorisé par la répétition des stress, l'absence de récupération émotionnelle, la perte de sens dans l'activité (Gustafsson et al., 2017).

Après des mois de poursuite d'objectifs, nous pouvons perdre de vue le pourquoi. Le plaisir intrinsèque — cette joie simple de bouger, de ressentir son corps, d'être dehors — peut s'éroder sous le poids des watts, des chronos, des comparaisons.

La pause crée un vide. Et dans ce vide, quelque chose de précieux peut réémerger : l'envie authentique. Pas l'obligation. Pas la discipline. Juste l'envie. Cette réinitialisation motivationnelle fait la différence entre une pratique qui dure et une pratique qui s'épuise.

Une période de repos permet aussi de reconnecter avec des activités non sportives qui enrichissent l'équilibre global. De passer du temps avec des proches sans la culpabilité d'une séance manquée. De simplement être.

 

Bouger autrement : la pause active et les plaisirs d'hiver

La pause ne signifie pas l'immobilité totale. Le concept de pause active permet de maintenir une activité physique modérée, mais en sortant complètement de la structure imposée autour de sa discipline principale.

L'hiver offre des opportunités uniques. Le ski de randonnée, le ski de fond, sollicitent le corps différemment et invitent des sensations méditatives. Pour ceux loin des montagnes : la natation décharge les articulations fatiguées, le yoga restaure la mobilité et la proprioception, l'escalade sollicite la coordination et le mental d'une façon radicalement différente.

L'objectif n'est pas de "maintenir le niveau" de manière anxieuse, mais de bouger pour le plaisir, de découvrir d'autres façons d'utiliser son corps, de retrouver le jeu et la spontanéité — tout ce que l'entraînement structuré met de côté.

 

Structurer sa pause : recommandations pratiques

Les travaux en sciences du sport recommandent une pause annuelle de 2 à 6 semaines. Pour un athlète d'endurance ayant eu une saison exigeante, 3 à 4 semaines constituent une durée optimale.

Semaine 1 : Déconnexion complète ou quasi-complète. Sommeil prolongé. Déconnexion des applications d'entraînement. Phase de lâcher-prise sans structure imposée.

Semaines 2-3 : Pause active. Activités alternatives variées, intensité basse, volumes modérés. Redécouverte du plaisir de bouger sans pression.

Semaine 4 : Transition douce. Si l'envie revient, réintroduction progressive de la discipline principale. Sorties courtes, faciles, sans montre ni objectif.

 

Éléments essentiels :

✓ Un sommeil plus long et plus régulier : véritable catalyseur de récupération physique et cognitive.

✓ Une activité physique différente : ski, randonnée, mobilité, yoga… pour maintenir un tonus léger sans charge.

✓ Une diminution de la charge mentale : limiter la planification sportive et les données à analyser.

✓ Des interactions sociales et du temps relationnel : un facteur protecteur démontré pour la santé mentale.

✓ Un temps pour faire le point : la tenue d’un journal améliore la connaissance de soi et permet de repérer les évolutions ou les nécessités d’adaptation.

✓ Une déconnexion digitale partielle : réduction de la surcharge cognitive et amélioration du sommeil.

 

Savourer la transition

La coupure annuelle fait partie intégrante du cycle de performance. C'est un investissement dans la saison suivante, une occasion de laisser le corps, le mental et les émotions retrouver leur point d'équilibre.

L'hiver invite naturellement à cette contemplation. Les jours courts, le froid, la neige — tout conspire à nous faire ralentir. Plutôt que de lutter contre cette invitation, accueillons-la.

Observez ce qui se passe en vous pendant ces semaines. L'anxiété qui s’apaise. L'ennui qui s'installe puis se transforme. Le moment où l'envie commence à refaire son apparition. Cette envie qui n'est plus une obligation, mais un désir authentique.

Savourons ce moment. La saison suivante arrivera bien assez tôt. Pour l'instant, il est temps de se reposer, de se réparer, de se retrouver. Alors ralentissez. Observez. Appréciez. Votre prochaine saison commence ici, dans le silence de l'hiver.

 

Références

  • Charest, J., & Grandner, M. A. (2020). Sleep and athletic performance: Impacts on physical performance, mental performance, injury risk and recovery, and mental health. Sleep Medicine Clinics, 15(1), 41-57.

  • Gustafsson, H., DeFreese, J. D., & Madigan, D. J. (2017). Athlete burnout: Review and recommendations. Current Opinion in Psychology, 16, 109-113.

  • Meeusen, R., Duclos, M., Foster, C., Fry, A., Gleeson, M., Nieman, D., ... & Urhausen, A. (2013). Prevention, diagnosis, and treatment of the overtraining syndrome: Joint consensus statement of the European College of Sport Science and the American College of Sports Medicine. Medicine & Science in Sports & Exercise, 45(1), 186-205.

  • Rojas-Valverde, D., Herrera-González, E., & Bonilla, D. A. (2025). Sports injuries as reversible involution: A novel approach to rehabilitation and readaptation. Frontiers in Sports and Active Living, 7, 1519404.

  • Sterling, P., & Eyer, J. (1988). Allostasis: A new paradigm to explain arousal pathology. In S. Fisher & J. Reason (Eds.), Handbook of Life Stress, Cognition and Health (pp. 629-649). John Wiley & Sons.

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