Vous êtes l’architecte

La science de l'entraînement mental

 

"Il a un mental d'acier." "Elle manque de confiance en elle." "Je n'ai jamais eu une grande estime de moi." 

Ces phrases, nous les entendons constamment.  Elles traduisent une croyance tenace : nos capacités mentales seraient des traits fixes, des caractéristiques que nous possédons ou non, comme la couleur de nos yeux.

Cette vision est scientifiquement fausse et incroyablement limitante. Le mental n’est pas un don. C’est un ensemble de capacités qui s’entraînent, se développent et se renforcent.

Les découvertes des dernières décennies en neurosciences le confirment : nous ne sommes pas spectateurs de nos aptitudes mentales, nous en sommes les architectes.



La neuroplasticité : notre cerveau se reconstruit en permanence

Les recherches modernes montrent que notre cerveau se remodèle continuellement selon nos expériences et nos entraînements. C’est ce qu’on appelle la neuroplasticité — la capacité du système nerveux à se réorganiser physiquement en fonction de la pratique.

Les travaux de Richard Davidson, notamment sur la méditation, montrent que certaines pratiques mentales modifient durablement l’activité et la structure des régions cérébrales liées à la régulation émotionnelle (Davidson & Begley, 2012). Autrement dit, nos pensées et nos expériences laissent une empreinte biologique.

Les capacités mentales ne sont pas gravées dans le marbre. Elles évoluent, à condition d’être entraînées. Voyons comment cela s'applique à quatre capacités essentielles pour tout sportif.


Quatre capacités mentales entraînables

L'estime de soi

L’estime de soi n’est pas une évaluation objective de notre valeur, mais la relation que nous entretenons avec nous-mêmes.
Les travaux de Kristin Neff (2011) ont montré que l’auto-compassion — la capacité à se traiter avec bienveillance dans la difficulté — se cultive à travers des protocoles simples, avec des effets mesurables sur l’anxiété et le bien-être. Concrètement, cela passe par un travail sur notre dialogue intérieur.

Une pratique efficace consiste à reformuler son discours intérieur après un échec : écrire les mots que l’on adresserait à un ami dans la même situation, puis se les relire.
Tenir un journal permet de repérer et d’adoucir progressivement les schémas d’autocritique.

 

🧭 Mise en pratique

Après une séance manquée ou un abandon, notez ce que vous diriez à un coéquipier dans cette situation. Puis relisez cette phrase comme si elle vous était adressée. Vous venez d’entraîner votre estime.



La confiance en soi

Albert Bandura (1997) a conceptualisé l’auto-efficacité, cette croyance en sa capacité à réussir une tâche précise.
La confiance ne naît pas de la pensée positive, mais de preuves concrètes de réussite. Chaque micro-expérience de maîtrise renforce la conviction que l’on peut réussir à nouveau. Cette construction de l'auto-efficacité peut prendre une forme très tangible.

Dans le sport, cela signifie construire des paliers progressifs : un peu plus long, un peu plus vite, un peu plus difficile.
Garder la trace de ces réussites dans un journal permet d’ancrer les apprentissages et de renforcer la confiance.

 

🧭 Mise en pratique

Avant une épreuve exigeante, relisez les notes de vos précédents entraînements où vous avez surmonté une difficulté. Ce processus renforce votre confiance en vous-même.



La concentration

Dans un monde saturé de distractions, la concentration devient un entraînement en soi.
La neuroscientifique Amishi Jha (2015) a montré que quelques minutes quotidiennes d’exercices d’attention focalisée suffisent à améliorer la mémoire de travail et la stabilité attentionnelle. L'entraînement consiste à développer cette capacité de retour attentionnel.

L’objectif n’est pas d’éliminer les distractions, mais d’apprendre à ramener son attention au point choisi — respiration, foulée, cadence de pédalage.
Chaque retour volontaire est une répétition, un renforcement du « muscle » attentionnel.

Prendre une minute après chaque séance pour noter un moment où l’attention a dérivé, et comment elle a été ramenée, développe la métacognition : la capacité d’observer ses propres processus mentaux.

 

🧭 Mise en pratique

Lors de votre prochaine sortie longue, dans l’ascension d’un col ou sur une montée interminable, observez à quel moment votre esprit part ailleurs. Ramenez-le consciemment sur le rythme de votre souffle ou sur votre cadence. Chaque retour est une répétition de concentration.


La résilience

La résilience est une compétence cognitive et émotionnelle.
Carol Dweck (2006) distingue deux mentalités : fixe (« je suis comme ça ») et de croissance (« je ne maîtrise pas encore »). Cette nuance ouvre la porte à l’apprentissage.

Martin Seligman (2011) a montré que l’optimisme peut lui aussi s’entraîner. En identifiant nos explications automatiques face à l’échec — « c’est permanent, c’est ma faute » — il est possible de les reformuler de manière plus précise et réaliste. Dans la pratique, cela se traduit par un travail d'observation et de reformulation.

Après une contre-performance, écrire noir sur blanc son interprétation puis la revisiter : quels étaient les facteurs contextuels ? quelles sont les preuves contraires ?
Chaque réévaluation développe la flexibilité cognitive qui soutient la résilience.

 

🧭 Mise en pratique

Remplacez “Je ne suis pas doué en montagne” par “Je ne maîtrise pas encore les longues ascensions.” Ce petit mot, encore, transforme une étiquette permanente en processus capable d’être modifié.


Le processus d'entraînement : principes essentiels

Ces quatre capacités semblent différentes en surface, mais leur entraînement repose sur des principes communs, solidement établis par la recherche.

  • La régularité prime sur l’intensité. Dix minutes quotidiennes valent mieux que deux heures ponctuelles.

  • La progression graduée. L’apprentissage efficace se construit par paliers accessibles.

  • L’observation de soi. Tenir un journal d’entraînement mental aide à repérer ses schémas internes et à objectiver ses progrès.

  • La bienveillance envers soi-même. L’autocritique freine la progression ; la compassion la rend durable.

  • Le temps long. Les effets significatifs apparaissent après huit à douze semaines de pratique régulière.

 

🧭 Mise en pratique

Vous pouvez dès à présent faire l’effort de noter chaque jour une observation mentale ou émotionnelle liée à l’entraînement : motivation, fatigue, envie, doute. Relire ces notes sur la durée révèle les cycles de votre état mental, comme une boussole intérieure.


Vous êtes l'architecte

Le mythe du « mental inné » est confortable : il décharge de la responsabilité du changement. Mais il prive aussi du pouvoir d’agir.

La science est plus exigeante, mais infiniment plus libératrice : nous pouvons entraîner nos capacités mentales. L’estime, la confiance, la concentration et la résilience ne sont pas des dons, mais des exemples de compétences adaptatives.

Chaque jour, nos pensées, nos réactions et nos choix façonnent notre architecture intérieure. Le premier pas n’est pas de tout transformer, mais d’observer.
Observer ses pensées, noter ses réactions, reconnaître les moments où l’on revient à soi : c’est déjà s’entraîner. 

Votre cerveau quant à lui se recâble à chaque répétition. La question n’est donc plus si vous pouvez changer, mais allez-vous choisir de le faire.

 
 
 

Références

  • Bandura, A. (1997). Self-efficacy: The exercise of control. New York: Freeman.

  • Davidson, R. J., & Begley, S. (2012). The Emotional Life of Your Brain: How Its Unique Patterns Affect the Way You Think, Feel, and Live - and How You Can Change Them. New York: Hudson Street Press.

  • Dweck, C. S. (2006). Mindset: The New Psychology of Success. New York: Random House.

  • Jha, A. P., Morrison, A. B., Dainer-Best, J., Parker, S., Rostrup, N., & Stanley, E. A. (2015). Minds "at attention": Mindfulness training curbs attentional lapses in military cohorts. PLOS ONE, 10(2), e0116889.

  • Neff, K. D. (2011). Self-Compassion: The Proven Power of Being Kind to Yourself. New York: William Morrow.

  • Seligman, M. E. P. (2011). Flourish: A Visionary New Understanding of Happiness and Well-being. New York: Free Press.

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